Le don manuel: une bombe à retardement sur le plan civil de la succession
Pour un don manuel d’une somme d’argent consenti et même déclaré, plusieurs éléments sont à considérer :
S’agissant d’une donation, le don manuel consenti au profit d’un héritier est présumé rapportable (et donc soumis à réduction le cas échéant), ce qui engendre fréquemment des conflits.
En présence d’un don manuel de somme d’argent et dans le cadre civil à la succession, le rapport est en principe du montant de la somme donnée ; Cependant, si l’argent a servi à acquérir un bien, c’est la valeur de ce bien qui doit être retenue.
“Le rapport d’une somme d’argent est égal à son montant. Toutefois, si elle a servi à acquérir un bien, le rapport est dû de la valeur de ce bien, dans les conditions prévues à l’article 860”. (C. civ., art. 860-1)
On applique alors la règle de la dette de valeur, savoir, on retient la valeur du bien acquis à la date du partage selon son état au jour de l’acquisition.
Et la question se pose de savoir quelle doit être la valeur rapportée civilement d’une donation d’une somme d’argent ayant permis l’acquisition d’un bien s’étant apprécié ou déprécié par la suite ?
En effet, ce point est souvent une source de conflit opposant les héritiers quant à l’évaluation du rapport du don à la succession.
Il apparait au regard de ce qui a été évoqué supra que la valeur à retenir est celle acquise par le bien à la date du partage, et ce même si elle est inférieure à la valeur reçue au titre de la donation de somme d’argent initiale (en valeur absolue ou relative).
Illustration
Un père (veuf) soucieux de traiter ses enfants de manière égalitaire consent à chacun de ses trois enfants un don manuel de 100 000 €.
(1) Le don manuel représente en valeur relative 50% du prix d’acquisition, donc le rapport sera de 50% de la valeur au jour du partage.
(2) Le don manuel de 100 000 € ayant servi à constituer, 10 ans auparavant, le capital d’une SARL, dont les parts sont estimées à la date du décès (ou du partage) à 50 000 €, sera rapporté civilement pour ce montant et non pas au montant de la somme reçue de 100 000 €.
(3) Concernant l’automobile acquise pour 100 000 € et ne valant plus rien, il sera rapporté le montant du don ; en effet, il convient de préciser que la dette de valeur est exclue en cas d’acquisition d’un bien dont la dépréciation est inéluctable (C. Civ., art. 860, al.2).
Au jour de la succession (ab intestat) le père laisse 250 000 € à partager à égalité entre les trois enfants.
La succession s’élèvera donc à 600 000 € (250 000 € + 200 000 € + 50 000 € + 100 000 €), soit 200 000 € par enfant.
(1) L’enfant n° 1 n’aura droit à rien car il est censé avoir reçu 200 000 €.
(2) L’enfant n°2 prendra 150 000 € car il est censé avoir reçu 50 000 €.
(3) L’enfant n°3 recueillera 100 000 € car il a déjà reçu 100 000 €.
Une situation conflictuelle risque donc de naître alors que le souhait du père, au travers du don manuel égalitaire entre les enfants, était de respecter une équité stricte.
Le conseil d’Herez
Afin d’éviter cette situation, il peut être opportun de recourir aux solutions suivantes en fonction de la volonté du client :
- Consentir une donation-partage plutôt qu’un don manuel ;
- Prévoir une dérogation aux règles de droit commun au travers d’un « pacte adjoint » (acte de reconnaissance de don manuel) dans lequel pourront être prévues des clauses plus appropriées (rapport forfaitaire pour un montant déterminé, qualification de donation préciputaire et hors part successorale avec dispense de rapport…). Attention au formalisme (rédaction au passé, titre non équivoque…) afin que le pacte n’opère pas par lui-même une donation en violation de l’article 931 du Code civil exigeant la forme notariée.
La dispense de rapport du don manuel peut également être réalisée par testament olographe déposé chez un notaire et elle doit être l’expression de la volonté nettement établie du donateur.
A contrario, nous rappellerons ici que sur le plan fiscal, pour le rapport à succession, si le don manuel porte sur une somme d’argent, alors la valeur à prendre en compte est le nominal donné ; on ne tient pas compte (contrairement au droit civil) de l’utilisation ultérieure des fonds donnés, il n’y a pas ici de subrogation. (Cass. com. 20 oct. 1998, Inst. adm. 18 janv. 2001, BOI 7 G-1-01, Rep. min. Chartier JOAN 8 mai 2007 n° 111486, Rep. min. Brunel JOAN 23 fev. 2010 n° 42604 ; BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10, p.7, § 200).
Patrick Müllinghausen,
Responsable Ingénierie Patrimoniale
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